Les jeux vidéo peuvent être passionnants, mais quand le plaisir se transforme en dépendance, l’expérience virtuelle peut devenir un cauchemar.
Comment l’immersion dans l’univers virtuel du jeu vidéo peut-elle brouiller la frontière entre réalité et fiction, et quels en sont les risques ? Alors, en quoi l’immersion dans l’univers virtuel du jeu vidéo peut-elle brouiller la frontière entre réalité et fiction, et quels en sont les risques ?
L’addiction au jeu virtuel, c’est quoi ?
Ancrés dans notre société depuis des décennies, les jeux vidéo et leur monde virtuel recouvrent aujourd’hui des comportements très variés. Sorte d’art à part entière, ce dernier mobilise de nombreux enjeux et suscite un grand nombre d’interrogations autour de la distinction entre réel et virtuel, avec le risque selon certains d’une confusion des genres.
Quelques définitions
L’addiction se définit comme étant « un processus par lequel un comportement humain permet d’accéder au plaisir immédiat tout en réduisant une sensation de malaise interne. Il s’accompagne d’une impossibilité à contrôler ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives » (Larousse Médical, 2023).
Une addiction est liée à la dopamine, une molécule présente dans le cerveau. Cette dernière intervient sur le circuit de la récompense et produit nos ressentiments, nos sensations, nos désirs, nos comportements. Lorsque vous ressentez du plaisir en faisant quelque chose, c’est la dopamine qui procure ce plaisir.
Mais plaisir n’est pas forcément synonyme de drogue. Pour un nombre infime d’individus (4 à 5 %), cet abus passe par la dépendance en intervenant sur d’autres neuromodulateurs comme la noradrénaline et la sérotonine. Bien que les recherches scientifiques sur le sujet soient encore imprécises, l’addiction aux jeux vidéo peut donc être considérée comme une drogue « technologique ». C’est d’ailleurs pour cela qu’en 2018, l’OMS a ajouté le « trouble du jeu vidéo » dans sa Classification Internationale des Maladies, le reconnaissant ainsi comme une pathologie (Fournier, 2019).
Bien que l’addiction puisse toucher des personnes de tout âge et de tout milieu, elle est plus fréquente chez les adolescents et les jeunes adultes.
Le jeu vidéo, un phénomène planétaire
Le jeu vidéo s’est complexifié avec le temps et ses classifications sont quelque peu laborieuses. De manière générale, un jeu vidéo est un type de jeu électronique qui peut être joué sur un ordinateur, une console de jeux ou un appareil mobile. Il s’agit d’un jeu interactif qui implique un ou plusieurs joueurs dans un univers virtuel, souvent avec des objectifs et des défis à relever. Il est possible de jouer en ligne (connecté au web avec la possibilité de jouer avec d’autres joueurs) ou hors ligne (les joueurs contre l’intelligence artificielle du jeu). Ils peuvent être de différents genres, voici les plus populaires :
- Les jeux de rôle massivement multijoueurs en ligne (MMORPG) : les joueurs incarnent un avatar qui va progresser en réalisant des quêtes en interaction avec d’autres joueurs.
- Les arènes de bataille en ligne multijoueur (MOBA). Il s’agit de jeux de combat où deux équipes de 3 à 5 joueurs s’affrontent dans des matchs.
- Le jeu de tir à la première personne (FPS) : les joueurs incarnent un avatar en vision subjective.
Selon le Digital Report 2022 publié par Hootsuite et We Are Social, la France compte environ 78 % de joueurs. Dès lors qu’une pratique devient populaire, des enjeux sociaux apparaissent.
Afin de bien cerner nos propos, il est important de faire le parallèle entre expérience virtuelle et jeux vidéo car les deux se complètent parfaitement. L’individu est, en effet, transporté dans un monde virtuel et artificiel créé par ordinateur, représenté en deux ou trois dimensions, dans lequel il peut évoluer de façon interactive par l’intermédiaire d’avatars.
Le cliché du joueur « zombifié »
Les jeux vidéo sont aujourd’hui des espaces polyvalents dans lesquels le joueur choisit à tout instant sa façon de jouer. On constate une « émergence du jeu vidéo dans son rapport avec une évolution des industries du divertissement et de la culture ludique contemporaine » (Berry, 2012).
Il faut se dégager de la représentation fantasmatique comme quoi le jeu vidéo est un objet hypnotique » (Louvigny, 2022)
Les jeux virtuels sont avant tout des objets d’amusement, des sources de plaisir et d’évasion passagère, qui peuvent être tout à fait positifs. En plus d’offrir des opportunités d’apprentissage et d’améliorer la coordination, il est tout aussi nécessaire au psychisme humain qu’il est utile socialement. C’est un espace de projection qui peut s’avérer très bénéfique par l’évasion et la créativité qu’il propose. La figure du joueur est cependant source de nombreux clichés et fantasmes.
Des joueurs « stigmatisés »
Cette stigmatisation est due à plusieurs facteurs, tels que le manque de compréhension et d’information sur le sujet et ou la méconnaissance des bienfaits des jeux vidéo. Jouer ne se résume pas simplement à regarder un écran et diriger un personnage dans un monde virtuel. Il implique également la résolution de problèmes, le traitement de l’information, la prise de décisions et l’expérimentation de nouvelles situations dans des contextes plus différents les uns que les autres (Virole, 2005).
Accusé d’isoler les joueurs, le jeu virtuel permet également de participer à une expérience collective, et donc fondamentalement sociale. L’industrie du jeu vidéo bouleverse les rapports à soi-même et aux autres. L’un des grands attraits du jeu en ligne est son côté multijoueur. Sur des principes ludiques, il est possible de développer des relations de sociabilité pour certains joueurs (Berry 2012).
Le jeu vidéo est en effet synonyme de collaboration, d’interaction et de complémentarité. Jouer en réseau fournit un cadre protecteur pour le début de relations affectives : on s’y rencontre sous un masque, puis on s’y dévoile progressivement.
Dans certains cas, le jeu vidéo peut se révéler un outil très puissant pour stimuler l’apprentissage. Des histoires partagées nommées Player versus Environment s’attachent à décrire ces expériences didactiques et pédagogiques lorsque les joueurs collaborent et s’organisent pour affronter l’environnement numérique.
L’interaction est donc une source de motivation majeure chez les joueurs, au point qu’elle pourrait parfois prendre le dessus sur le jeu lui-même (Berry, 2012). Cette approche semble loin d’être aussi simple et recouvre d’innombrables spécificités. La question se pose de savoir comment qualifier de telles relations virtuelles.
Les expériences et les activités opérées dans les jeux virtuels permettent de tisser des liens plus difficiles, voire impossibles dans la réalité. Le joueur dépendant n’a pas l’impression d’être isolé puisqu’il communique avec toute une communauté de joueurs. Il y a donc une grande diversité des pratiques et leurs incidences liées aux diverses rencontres virtuelles.
On peut parler de relation fonctionnelle entre joueurs (Auray, 2003). Même si des relations amicales peuvent apparaître, elles ne conduisent que très rarement à des contacts sociaux en face-à-face. L’expérience des utilisateurs est multiforme et peut être mise en lien avec l’hétérogénéité des situations sociales parfois révélatrices de l’importance donnée au jeu. C’est « comme un moment particulier de la vie, une compensation, comme un exutoire, un plaisir ponctuel » (Berry, 2012).
Quand le virtuel s’immisce dans notre réalité
La recherche scientifique médicale s’accorde à dire que l’individu construit sa sécurité intérieure sur le modèle de celle qu’il trouve dans son environnement. Si son environnement est fragile et non encadré, il s’enferme plus facilement dans son monde.
Le monde virtuel, un piège pour les joueurs ?
Le jeu vidéo est en effet régulièrement accusé de piéger les joueurs dans des univers fictifs et irréels. Les traumatismes, les événements stressants ou les difficultés émotionnelles antérieures sont des facteurs importants. Les espaces virtuels peuvent être mis à contribution pour tenter de colmater cette angoisse.
A la recherche d’un attachement sécurisé, le jeu vidéo incarne une présence réconfortante pour le joueur. Un enfant qui n’a pas trouvé dans son environnement un accordage affectif suffisant peut tenter, à l’adolescence, de le construire virtuellement.
Ils permettent aussi à leurs utilisateurs, pour la première fois dans l’histoire des relations de l’homme aux images, de devenir le spectateur de ses propres actions. En recherche de sensations fortes, ce dernier incarne une sorte d’idéal. Il cultive une forme de représentation de lui-même sans rapport avec la réalité. Le fossé se creuse « progressivement entre la représentation de ses propres capacités dans le réel et cette image idéalisée de lui dans le virtuel ». (Tisserot, 2009).
Mais alors est ce vraiment problématique ? Pour que ça le soit, il faut nécessairement qu’il y ait des répercussions négatives sur l’individu ou son entourage. Dans de rares cas, les risques sont bien réels. Pour la famille, le danger est la perte du lien avec l’enfant. L’inquiétude de voir un proche, s’isoler du reste de son milieu pour se consacrer au jeu vidéo est légitime.
L’immersion du virtuel dans la vie réelle peut être accompagnée de nombreux risques comme des problèmes de comportement, des dégradations de la santé physique et mentale ou encore une baisse des performances scolaires pour les plus jeunes. L’inquiétude parentale d’une addiction aux jeux vidéo et le traitement de l’angoisse de perte prend parfois l’allure de conduites dépressives et addictives.
Il faut donc surveiller les déséquilibres car, pour certains joueurs, cette passion se transforme en prison dorée. La tendance à l’immersion visuelle de plus en plus poussée et le pouvoir de scénarisation du jeu vidéo ont tendance à renforcer cette crainte. Si le jeu vidéo devient trop proche de la réalité, comment s’en détacher ?. Selon Bastien Cardin, cofondateur de l’association Game-addict, « le jeu fait office de refuge face à une réalité que les adolescents ne veulent ou ne parviennent plus à affronter » (Bastien Cardin – MAIF, 2012).
Leur utilisation potentiellement bénéfique soulève le double enjeu de la promotion d’utilisation bénéfique et de la prévention des usages à risque.
Peut on sortir d’un « idéal virtuel » ?
Sortir de « l’idéal virtuel » peut être un processus difficile, mais c’est une étape importante pour retrouver un équilibre de vie sain. Avant toute chose, il est important d’admettre qu’il y a un problème et qu’il faut changer certaines habitudes. Pour les parents, se positionner en tant que référent éducatif et accompagner l’enfant peut être une solution. Il faut réfléchir avec lui, éveiller son esprit critique en proposant d’autres activités à l’heure où le numérique et le jeu vidéo sont ancrés dans notre quotidien dès le plus jeune âge.
Les espaces virtuels peuvent être mis à contribution pour tenter de colmater une angoisse du monde réel. Les avancées technologiques ont permis aux chercheurs de créer des programmes de réalités virtuelles thérapeutiques permettant aux patients de surmonter certaines difficultés notamment le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et la dépendance. On peut prendre l’exemple du programme de réalité virtuelle Bravemind développé pour évaluer et traiter le TSPT en immergeant les patients dans des scénarios de combat virtuels qui reflètent leurs expériences traumatiques spécifiques (Rothbaum, 2017).
Le diagnostic et le seuil concernant les troubles aux jeux vidéo sont un sujet très controversé (Leouzon, 2018). Aucun traitement pharmacologique officiel n’est actuellement enregistré pour cette pathologie. La prise en charge principale consiste donc en une thérapie psychothérapeutique inspirée du traitement des addictions, qui utilise des approches cognitivo-comportementales, des techniques d’entretien motivationnel et des modèles de prise en charge de groupe.
Les scientifiques préconisent des modèles de diminution progressive de la consommation. Une pratique modérée en harmonie avec les objectifs de vie des individus semble plus efficace qu’une abstinence complète. L’expérience utilisateur est bien plus qu’une simple immersion dans un univers virtuel : c’est un équilibre subtil entre gameplay, narration, graphismes et interactions, qui permet de créer des expériences de jeu uniques et inoubliables pour les joueurs. Mais cette expérience n’est pas sans risques.
La voie de sortie de la dépendance se trouve donc dans la capacité à se détacher du virtuel. Cela passe par l’accompagnement du sujet dans un travail sur lui-même pour lui permettre de se séparer de ses objets en intériorisant ces liens. Ainsi, la séparation n’aura plus valeur de rupture du lien et permettra au sujet d’accepter l’interdépendance de ses relations à autrui. (Bertrand Disarbois, 2009).
Bibliographie
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