En l’espace de 5 ans, nos ordinateurs ont développé la capacité à générer des œuvres artistiques d’un réalisme parfois époustouflant. Faute de cadre juridique, les questions autour des propriétés intellectuelles/droit d’auteur se multiplient au sein des artistes.
L’Homme n’est plus seul
Art et humain ont toujours été intrinsèquement liés depuis que notre espèce a commencé à prendre conscience du monde qui l’entoure. Depuis, des millénaires sont passés, notre espèce a évolué et notre façon de dessiner tout autant. Encre, graphite, fusain et maintenant sur nos ordinateurs, l’humain n’a jamais arrêté d’imaginer de nouvelles manières d’illustrer ses pensées. Cependant, il semble que désormais l’humain n’est plus la seule entité à savoir faire preuve de créativité. Une nouvelle ère s’ouvre avec l’avènement de l’Intelligence Artificielle générative (IAg).
Au centre de notre réflexion se trouve cette œuvre, créé à l’aide d’une simple demande (appelée prompt) faite à l’IA Dall-E « Un paysage étoilé à la manière de Van Gogh, avec des couleurs roses »
Cette image, fruit de l’algorithme, incarne à elle seule les défis et les promesses de la création artistique à l’ère numérique. Cependant, l’existence de cette image soulève d’énormes débats au sujet de sa paternité. Cet article vous propose un tour d’horizon des réponses apportées par les lois à l’échelle française et européenne face à cette nouvelle forme d’art et aux défis qu’elle pose en matière de propriété intellectuelle.
L’IA une artiste innée ?
Pour obtenir notre œuvre finale générée en quelques secondes sur nos écrans, l’IA nécessite d’accéder à un vaste ensemble de données (image et métadonnées), pour son entraînement. Cela est possible via le processus de collecte des données appelé « data mining ». Pour créer du contenu (qu’il s’agisse de texte, d’images, de musique ou d’autres formes de données), les IA vont, à partir de leurs bases de données, désormais fournies en données, passer par une phase de « deep learning » (ou apprentissage profond).
Le principe est simple, l’algorithme apprend à reconnaître des motifs dans les images au travers d’un réseau de neurones génératifs (GAN), lui permettant de distinguer un chat d’un camion. Une fois que l’Intelligence Artificielle peut associer les mots et les phrases aux données présentes dans les images, elle peut générer une image correspondant au prompt qui lui est rédigé. En raison du volume considérable de données, l’IA est capable de détecter plusieurs corrélations simultanément. Ainsi, même si le texte reste identique, l’IA ne produira jamais la même image à chaque fois.
Qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?
Les droits de propriété intellectuelle sont au cœur de la protection des créations intellectuelles, garantissant aux auteurs un contrôle sur l’utilisation et la diffusion de leurs œuvres. Cette protection se divise en deux branches :
- Les droits de propriété littéraire et artistique, qui couvrent les créations en elles-mêmes
- Les droits de propriété industrielle, qui protègent les inventions et les brevets.
Cependant, même avec ces protections, des exceptions existent. L’une d’elles concerne la fouille de données, un processus d’extraction d’informations à partir de données lues par des machines. Initialement introduite en 2019 par la Parlement européen, puis adaptée pour son territoire en France pour la recherche scientifique en 2022. Cette exception soulève aujourd’hui des questions cruciales dans le domaine de l’Intelligence Artificielle.
En effet, les IA utilisent les résultats de la fouille de données pour leur apprentissage et leur analyse, ce qui pose des défis juridiques et éthiques en matière de propriété intellectuelle et de confidentialité des données. Alors que cela améliore leurs capacités, cela soulève également des préoccupations quant à la légalité de l’utilisation de ces données extraites.
Ainsi, l’intersection entre les droits d’auteur et l’Intelligence Artificielle met en lumière des défis complexes auxquels sont confrontées les lois actuelles dans un monde technologique en évolution permanente.
L’IA possède-t-elle des droits ?
Lorsqu’une Intelligence Artificielle génère une image, comme dans le cas de notre image « inspiré » des tableaux du peintre V. Van Gogh, produite à l’aide de nos « artistes robotiques ». Ce n’est pas seulement qu’une représentation qui se génère, mais avec elle, des questions et des enjeux autour de la propriété des droits d’auteur, des questions complexes, qui soulèvent encore en 2024 d’énormes débats juridiques, mais également des problématiques éthiques qu’ils conviendraient à traiter dans un autre article. Ensemble, faisons un tour d’horizon et tentons de tracer le tableau des lois et des perspectives françaises ainsi que de la vision européenne sur le sujet.
La question de l’auteur
« Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense ». Cette citation attribuée au peintre et sculpteur espagnol Pablo Picasso, illustre une conception profonde de l’art qui transcende la simple reproduction de la réalité. C’est dans cette perspective que le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) français protège les droits des auteurs sur leurs œuvres. Cependant, alors que les intelligences artificielles deviennent capables de créer des œuvres, la question de leur statut légal en tant qu’auteur reste floue.
Selon le CPI, seules les créations issues de l’esprit humain peuvent prétendre à des droits d’auteur. Ainsi, les IA ne sont pas explicitement reconnues comme des « détenteurs de droits ». Même si elles développent des capacités cognitives avancées, la loi française ne les considère pas pour autant comme des entités pouvant bénéficier de droits d’auteur.
Cette position juridique se confond avec celle exprimée par la Cour de Justice de l’Union Européenne, illustrée dans l’affaire Infopaq, société spécialisée dans la veille et l’analyse de la presse écrite face à un syndicat professionnel de la presse quotidienne danoise accusant la société d’avoir, sans l’accord préalable des journalistes, utilisé des articles de presse numérisés dans le but de les livrer à ses clients. La Cour statuant que le droit d’auteur s’applique aux œuvres originales, issues d’une « création intellectuelle propre à son auteur », impliquant notamment un « esprit créateur » et d’une personnalité. Ainsi, pour qu’une IA puisse prétendre à des droits d’auteur, elle devrait pouvoir démontrer son implication et ses choix et ses processus créatifs.
Cependant, la question de savoir si une IA, c’est-à-dire un algorithme, peut être considérée comme un « auteur » au sens juridique n’a pas encore été tout à fait tranchée. Cette interrogation est au cœur des propositions législatives en France tant qu’au niveau européen. Une proposition d’article en France vise à préciser que « les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle ».
Ces débats soulignent la nécessité urgente de clarifier les critères d’originalité dans le contexte de l’IA, où la distinction traditionnelle entre auteur humain et création artificielle peuvent, voire, seront remises en question.
Les œuvres générées par IA peuvent-elles être protégées par le droit d’auteur ?
Reprenons notre image générée précédemment. Bien qu’il puisse être reconnu que je sois à l’initiative de la création de cette image lorsque j’ai rédigé mon prompt sur l’Intelligence Artificielle générative Dall-E. Il convient de se poser la question suivante : existe-t-il un auteur ? Si oui, peut-il s’agir de l’algorithme, ou bien est-ce moi, du simple fait d’avoir rédigé cette ligne de texte à l’origine de la création qui me permet de jouir de ces droits ?
La question de la reconnaissance des droits d’auteur pour les œuvres créées par l’Intelligence Artificielle suscite des débats juridiques complexes. Il est essentiel de distinguer le rôle humain dans le processus de création pour déterminer les droits.
Précurseur dans ce débat, le Parlement Britannique a tranché dès les années 1980 lors de l’émergence des premiers ordinateurs personnels, stipulant que les œuvres créées par un humain avec l’aide d’une machine (par extension les IA) sont légalement attribuées à cette personne. En France, également, les tribunaux reconnaissent les œuvres assistées par des systèmes informatiques, tant qu’une intervention humaine significative y est présente et ressentie dans le processus de création. Cependant, lorsque l’IA génère une œuvre sans intervention humaine directe, la question devient dès lors plus délicate. Son « admissibilité » à la protection par le droit d’auteur reste floue. Des propositions législatives suggèrent des amendements pour clarifier cette reconnaissance.
Certaines propositions envisagent la création d’un statut spécifique pour les œuvres d’IA, comme un droit sui generis en France qui récompenserait l’effort matériel et financier investi dans la création de ces œuvres. De plus, la question de la gestion collective des droits sur ces œuvres se pose, avec des sociétés d’auteurs potentiellement chargées de percevoir les rémunérations selon un temps défini en fonction des droits en leurs possessions.
La protection des œuvres générées par l’IA mène alors à une réflexion approfondie pour garantir une reconnaissance juste des droits des créateurs tout en encourageant l’innovation technologique.
Les droits d’auteurs sur les données d’apprentissage
L’émergence de l’Intelligence Artificielle (IA) dans la création artistique pose des questions fondamentales concernant les droits des créateurs originaux. Lorsque des œuvres sont produites à l’aide de l’IA, les données utilisées pour son apprentissage peuvent être soumises à diverses lois sur la propriété intellectuelle.
Dans le cas de notre oeuvre « à la manière de Van Gogh », il peut être certain que l’IA s’est appuyé sur des tableaux du peintre originel pour s’en « inspirer ».
Toutefois, l’utilisation de ces données pour former les modèles d’IA peut nécessiter l’autorisation des détenteurs de ces droits. Dans le cas du fameux tableau La nuit étoilé de Van Gogh peint en 1888, bien qu’il soit tombé dans le domaine public depuis maintenant 66 ans et donc de ce fait devrait pouvoir être librement téléchargé et reproduit. En France, une certaine frilosité s’est installée en la matière, afin de protéger les œuvres d’un aspect commercial de sa reproduction, il existe un droit au profit du propriétaire matériel. C’est ainsi que les musées ou certains collectionneurs peuvent monnayer un « droit d’accès » à leur propriété. A contrario, des musées comme celui de Rijksmuseum à Amsterdam ou encore le Metropolitan Museum of Art à New York proposent une politique d’accès totalement libre et gratuite pour les images numériques d’œuvres d’art du domaine public.
Une proposition d’amendement à la loi française stipule que l’incorporation d’œuvres protégées par le droit d’auteur dans un système d’IA doit respecter les dispositions du code de la propriété intellectuelle et obtenir l’accord des auteurs ou des ayants-droit. En cas de non-respect, cela pourrait être considéré comme de la « contrefaçon » au regard de l’article L.335-2 de ce même code.
Parallèlement, la législation française reconnaît également des droits propres aux données d’apprentissage, notamment sur les bases de données, lorsque des investissements humains, financiers ou matériels sont démontrés. Cette protection s’applique indépendamment des droits d’auteur ou d’autres droits sur la base de données ou ses composantes.
L’IA, des perspectives éthiques ?
Cet article ne s’est pas attardé sur les multiples questions éthiques que représente l’avènement d’une IA générative à la disposition de tous.
Les systèmes d’IA peuvent manipuler voire altérer ces œuvres afin de les adapter à leurs besoins, suscitant ainsi des inquiétudes quant à l’intégrité et à la dignité des créations initiales. Il est alors essentiel de considérer ces aspects lors de leur développement et de leur utilisation.
Sur le plan juridique, qui nous occupe ici, elle permet d’ores et déjà d’entrevoir des solutions. Ce formidable outil d’aide à la création doit néanmoins répondre à des exigences de transparence et de fiabilité dans l’intérêt des valeurs sur lesquelles, les pays de l’Union Européenne, se sont entendus au travers de leur IA Act voté en mars dernier , souhaitant encadrer et gérer les risques liés à l’utilisation des IA. Dans un objectif clair, permettre aux médias de mieux gérer leur contenu, lutter contre les fake news ainsi qu’avertir les utilisateurs de leurs interactions avec des systèmes d’Intelligence Artificielle et, surtout, de garantir le respect des droits des auteurs tout en favorisant l’innovation et le développement de l’IA.
SUR LE BANC D’ESSAI
1 prompt • 4 IA génératives d’images
« Un paysage étoilé à la manière de Van Gogh, avec des couleurs roses »
Dall•E, Adobe Firefly, ArtBreeder, Lexica… En seulement deux ans, de nombreuses IA spécialisées dans la génération d’images ont fait leur apparition. La question qui se pose est : « Laquelle de ces 4 IA est la plus performante et la plus fidèle au prompt ? » L’équipe de Didak’TIC a fait le test.
1. DALL•E
Résultat assez fidèle à la peinture de Van Gogh. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une reproduction fidèle, nous retrouvons les éléments clés du tableau d’origine, ainsi que les coups de pinceau brusques et les empâtements si spécifiques à l’œuvre de l’artiste.
2. FIREFLY
Résultat très éloigné d’une peinture de Van Gogh. Cette raison est liée à son fonctionnement. Lorsque l’IA a reconnu le nom du peintre dans le prompt, la machine a refusé automatiquement de le prendre en considération dans son traitement. Cela est dû au fait qu’Adobe Firefly n’a pas en possession les œuvres de l’impressionniste néerlandais dans sa base de données pour des raisons de propriété intellectuelle, évitant ainsi toute utilisation non autorisée.
3. LEXICAART
Avec un résultat très fidèle au prompt et aux œuvres du peintre, Lexica se démarque tout comme Dall-E, dans le domaine de la génération d’images. Cependant, cela soulève de sérieux doutes quant à l’autorisation et à l’utilisation des œuvres présentes dans leurs bases de données pour entraîner leurs modèles.
4. ARTBREEDER
Résultat très éloigné de la peinture d’origine pour l’IA ArtBreeder. Les instructions de couleurs et de paysage étoilé sont respectées. Pour autant, nous ne retrouvons pas la patte si particulière de l’artiste dans la proposition générée.
Tests réalisés le 12 juin 2024.
Bibliographie
- https://labs.openai.com/s/bFgMMWsWrxsKqqTNYeqLplUa
- Kassel, R. (2023, November 9). GAN et Machine Learning : Mise en pratique avec des visages fictifs. Formation Data Science | DataScientest.com. https://datascientest.com/gan-machine-learning
- Directive – 2019/790 – EN – directive droit d’auteur – EUR-Lex. (n.d.). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=celex%3A32019L0790
- Section 4 : Exceptions en vue de la fouille de textes et de données (Articles R122-23 à R122-28) – Légifrance. (2023, January 1). https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006069414/LEGISCTA000045960671/2023-01-01/#LEGISCTA000045960671
- EUR-LEX – 62008CJ0005 – EN – EUR-LEX. (n.d.). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A62008CJ0005
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- Première mondiale : la plus haute juridiction du Royaume-Uni juge qu’une IA ne peut pas être désignée comme inventeur | INPI PIBD. (n.d.). INPI PIBD. https://pibd.inpi.fr/article/premiere-mondiale-la-plus-haute-juridiction-du-royaume-uni-juge-quune-ia-ne-peut-pas-etre
- Le droit des images des collections de musées et de bibliothèques. (2017, February 3). Livres Hebdo. https://www.livreshebdo.fr/article/le-droit-des-images-des-collections-de-musees-et-de-bibliotheques
- Droit à l’image des oeuvres d’art – Si l’art était conté. . . (2018, July 3). http://www.httpsilartetaitconte.com/archive/2018/07/03/politiques-de-droit-a-l-image-6063949.html
- La loi sur l’intelligence artificielle Explorer | EU Artificial Intelligence Act. (n.d.). https://artificialintelligenceact.eu/fr/ai-act-explorer/
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