À une époque où le contexte économique est difficile et où ses modèles traditionnels sont remis en cause, le Design Thinking et le Knowledge Management semblent être devenus des modèles phares et à la mode. Quelles peuvent être les interactions entre ces deux notions qui mettent l’humain au centre de leurs démarches ? Qu’est-ce que le Design Thinking peut apporter au Knowledge Management ?
Qu’est-ce que c’est ?
Le Design Thinking
Pour faire simple, il s’agit d’un projet collaboratif qui va favoriser le travail d’équipe et améliorer le management de projet. L’objectif du Design Thinking est de faire travailler ensemble des professionnels de différents horizons. Le but est, en combinant l’ensemble de leurs compétences, de pouvoir identifier une problématique, de trouver la solution qui permettra de la résoudre, et de concevoir la forme qui incarnera au mieux le concept. Le Design Thinking permet l’échange et le travail entre des personnes n’ayant pas les mêmes expertises, les mêmes habitudes de travail ni les mêmes manières de travailler. Cela favorise l’intelligence collective
. Il existe plusieurs méthodes de Pensée Design
, même si elles s’inspirent toutes d’une approche commune. Le nombre d’étapes évoluent selon la méthode choisie. Prenons un exemple d’une démarche du Design Thinking résumée en trois étapes-clés :
- Identifier une problématique et comprendre son environnement (
empathie
etdéfinition
sur le schéma ci-dessous) - Trouver le concept, l’idée qui permettra de la résoudre (
idéation
) - Concevoir la forme qui incarnera ce concept (
prototype
ettest
)
Le Knowledge Management
Le Knowledge Management (K.M.) ou gestion des connaissances (G.C.) en français, est une démarche managériale qui a pour but d’identifier, analyser, organiser, archiver et partager les connaissances, le savoir et savoir-faire entre les membres d’une organisation. C’est, en somme, une manière de mettre en commun le savoir de chacun afin qu’il soit partagé entre tous au sein d’une organisation. Cela permet d’éviter la perte d’informations importantes lors du départ d’un membre (démission, départ à la retraite, etc), mais aussi de comprendre et faciliter la passation de connaissances entre différentes personnes et différents services en entreprise. Bien souvent, deux approches sont privilégiées :
- Une approche technologique dont les solutions sont fondées sur les technologies de l’Information et de la Communication, l’utilisation d’outils informatiques et base de données. Il s’agit de coder les connaissances scientifiques et techniques.
- Une approche managériale et sociotechnique. Elle est centrée sur les performances de l’entreprise. Elle relève des processus de décision, d’apprentissage et de gestion des compétences, du fonctionnement en réseau et de l’animation de communautés de pratiques.
Quels sont les apports du Knowledge Management aux entreprises ?
Dans une entrevue au Journal Les Affaires du 11 mai 1996, Hubert St-Onge, alors Vice-Président et responsable du Centre de leadership de la Banque CIBC, déclarait :
Si l’ère industrielle a célébré la primauté des biens tangibles, l’ère actuelle s’appuie fortement sur le Capital Intellectuel. Et les entreprises qui donneront peu d’importance à cette nouvelle perspective s’exposent simplement au syndrome de la mort subite.
Le Knowledge Management apporte des avantages aux entreprises :
- D’ordre commercial et financier ;
- Innovations ;
- Amélioration de la productivité ;
- Réduction des erreurs et des doublons ;
- Exploitation des connaissances internes ;
- Gestion des risques ;
- Stimulation de la motivation et de l’engagement ;
- Amélioration du travail d’équipe ;
- Rétention des talents ;
- Augmentation de la capacité à apprendre, à s’adapter au changement et à relever les défis auxquels est confrontée l’entreprise
Pourquoi le Knowledge Management ne fonctionne pas toujours ?
Selon des spécialistes, notamment Outre-Atlantique, bien qu’avantageuse la Gestion des Connaissances pâtît de certains manques et vivrait son dernier souffle.
Pas si simple de faire collaborer les salariés et la direction
Si l’on considère tous les avantages du partage de connaissances, qu’est-ce qui empêche son développement au sein des entreprises ? Les obstacles les plus difficiles à surmonter outre ceux liés à la technologie ou au financement, sont d’ordre humain et due à la non-collaboration. Du côté des collaborateurs, il existe des problèmes à cause du manque de motivation, d’implication, d’assurance ou de confiance. Souvent, des personnes prêtes à partager leurs savoirs finissent par ne pas s’impliquer par manque de soutien et de reconnaissance de la part de la direction ou du management. Du côté de la Direction, il peut y avoir une sous-estimation de l’implication nécessaire à la réussite de ce processus avec l’absence d’une dynamique où l’humain est au centre de la démarche (management peu centré sur l’Humain). Par ailleurs, les démarches de Knowledge Management sont parfois trop complexes ou prennent beaucoup trop de temps et d’énergie pour être mises en place.
Qu’est-ce que le Design Thinking peut apporter de plus ?
Impliquer l’ensemble des employés
Pour de nombreux professionnels du K.M., l’échec de cette démarche dans les entreprises est dû au manque d’implication des utilisateurs dès le début du processus. Des organisations se débattent avec la création, la mise en place et l’utilisation du Knowledge Management, sans obtenir l’adhésion de tous. C’est pourtant impératif si l’on souhaite que le partage du savoir fonctionne. Comment obtenir le savoir des personnes si elles sont mises de côté ? Si elles ne font pas confiance ? Si elles ne se sentent pas entendues ?
Du Design Thinking pour doper
le Knowledge Management aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, des entreprises spécialisées dans le K.M. et le D.T. proposent des audits, formations, e-learning, afin de mettre en place une démarche de Design Thinking dans le processus de Gestion des Connaissances. Cette approche permet à tous les salariés de l’entreprise d’être acteurs du Knowledge Management en permettant le travail collaboratif entre personnes de différents domaines. Il n’est pas seulement question d’intégrer les utilisateurs dans l’effort de conception. Au-delà de cela, il s’agit de les impliquer dans les discussions initiales concernant les désirs et les besoins, et savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les directions d’entreprises faisant du Design Thinking sont aussi conscientes que l’individu est au centre de la démarche et pratiquent donc un management plus ouvert ce qui facilite le développement du K.M.
Obtenir plus de connaissances
Au-delà de cette implication nécessaire à l’adhésion de tous dans la démarche du Knowledge Management, le Design Thinking peut aussi permettre d’obtenir des informations et des connaissances dont les employés ne sont pas toujours conscients et ce pour diverses raisons : humilité, manque de confiance, croyance que tout le monde possède déjà ce savoir etc. L’empathie prônée par le Design Thinking permet de s’orienter vers l’utilisateur, de ne pas être axé sur la technologie ou sur l’offre. Il s’agit de voir ce que font les utilisateurs, de les interroger, de les motiver. Le Design Thinking, en analysant, en interrogeant l’individu de manière différente, peut permettre d’extraire de nouvelles connaissances. Quel est le mode de vie des personnes dans la société ? Quelles sont leurs habitudes de travail ? Quels sont leurs attentes, leurs besoins ? Avec qui travaillent-elles ? Avec qui échangent-elles des informations ? Dans quels domaines excellent-elles ? En analysant l’ensemble de ces données, le D.T. permet de créer un environnement de vie professionnelle favorisant le rapprochement et le partage des connaissances où tous les membres sont concernés.
De nouvelles perspectives
Globalement, le Design Thinking et le Knowledge Management se complètent naturellement. Un Knowledge Management engagé nécessite une concentration sur les utilisateurs ainsi que sur ce qui empêche l’organisation d’exploiter leurs connaissances et les innovations. Les méthodes du Design Thinking traitent directement ces éléments. Au-delà d’impliquer les utilisateurs directement dans le processus, appliquer du Knowledge Management depuis une perspective Design Thinking offre des avantages :
- Eviter les solutions classiques du Knowledge Management souvent d’ordre technologique
- Se concentrer sur les besoins réels de l’organisation et ceux des individus
- Permettre des écarts et des erreurs tout en apprenant de ceux-ci. Cela renforce les stratégies du K.M.
Les éléments du Design Thinking : ECHO
Basé sur ses expériences professionnelles, Arno Boersma, Knowledge stratégiste reconnu, définit le Design Thinking comme étant l’avenir du Knowledge Management
. Il va même plus loin en créant le terme de Knowledge Design Thinking
. Il considère la connaissance comme notre ressource la plus renouvelable et pourtant la plus difficile à gérer. Elle devrait être gratuite mais ses propriétaires ne le voient pas toujours ainsi. D’après lui, ce qui fonctionne le mieux c’est une stratégie de la connaissance centrée sur l’homme tout comme le Design Thinking. Il définit les éléments clés du Design Thinking comme étant l’Expérimentation, la Collaboration, axé sur l’Humain et Optimiste représentant le sigle ECHO : « Experimental, Collaborative, Human-centeredness and Optimistic »
.
Ces axes mis à contribution dans une démarche de Knowledge Management permettent de palier aux problématiques de conception et d’utilisation.
L’Expérimentation
L’Expérimentation
a pour but de faire du Knowledge Management un processus plus itératif, un espace de tolérance, de réussite mais aussi d’échec. En effet, les organisations mettent en place des stratégies, des processus trop cartésiens
et s’attendent à avoir des résultats déjà planifiés et chiffrés. Or, tâtonner – échouer – apprendre et retenir, laisse plus de place à la créativité, l’innovation et recherche de solutions. Ces éléments sont des atouts majeurs face à des futurs imprévus et challenges inattendus.
La Collaboration
La Collaboration
met l’accent sur la participation de tous les acteurs. Car, aucun individu ne possède le savoir de l’ensemble des individus. A partir de ce principe et sachant que les méthodes du Knowledge Management sont souvent préparées à l’écart des utilisateurs ou du flow-business
, le Design Thinking vient faire le pont et relier les méthodes du Knowledge Management avec les utilisateurs par l’implication directe de ceux-ci.
Axé sur l’Humain
Axé sur l’Humain
accentue l’aspect que l’individu est au centre de la connaissance ; le Knowledge Management ne sera une réussite que si la compréhension des besoins des utilisateurs a bien été prise en compte. Un individu, ayant des connaissances, qui n’a pas la motivation de les partager, ne les partagera pas malgré la mise à disposition d’outils technologiques à cet effet. Ce type de salarié considère la connaissance comme un pouvoir à ne pas partager ; et ce sentiment / cette attitude devraient être changés avant la mise en place des outils de partage.
L’Optimiste
Enfin L’Optimiste
, c’est toujours croire à la réussite des projets et que ce n’est qu’une question de temps avant de trouver la bonne méthode. Souvent, il est pensé que 80% de la réussite du Knowledge Management est due au changement des méthodes de management et 20% aux outils mis en place. Le Design Thinking apporte un sentiment que toutes les éventualités sont possibles (et non seulement cette règle de 80% – 20%). Par ailleurs, le sentiment que le changement est possible n’est certes pas suffisant pour créer le changement. L’optimisme encourage à essayer des choses, de ne pas avoir peur d’échouer, à en faire des leçons pour avancer.
Pour conclure, ensemble, le Design Thinking et le Knowledge Management permettent de résoudre les problèmes complexes d’aujourd’hui et fournir de meilleures méthodes pour relever les défis de partage du savoir. Ce développement concerne les personnes, il est donc essentiel de se concentrer sur elles pour créer des solutions efficaces. Intégrer les éléments du Design Thinking dans les méthodes du Knowledge Management peut rendre ces méthodes moins rigides et nettement plus flexibles, permet d’éviter les méthodes standards et classiques du Knowledge Management et d’évoluer vers d’autres nouvelles idées et solutions plus appropriées.
Bibliographie
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