Métaverse, de la science fiction à la réalité… virtuelle il n’y a qu’un pas…

salle dans le metavers
"Metaverse Gallery Premiere Opening featuring Shoshana Epsilon" by Dean Terry is licensed under CC BY-NC-ND 2.0.

Le métavers est une technologie qui prend de plus en plus d’importance dans notre société. Initialement créé dans les jeux vidéo, il est devenu un véritable phénomène culturel, incarnant une vision futuriste de notre société, dans laquelle chacun peut créer son propre avatar pour le représenter et explorer des univers virtuels interactifs.

Mais d’où vient il exactement ? Comment ça marche? Qu’y trouve-t-on?

Définition : Etymologiquement, métavers est une contraction du préfixe grec méta et univers : univers qui va au-delà de celui que nous connaissons.

Le rapport interministériel de la mission sur le développement des métavers publié en octobre 2022 définit ce dernier comme « un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives »

UN PHÉNOMÈNE CULTUREL ISSU DES JEUX VIDÉO ET DE LA SCIENCE-FICTION, ACCÉLÉRÉ PAR LA PANDÉMIE DE COVID

Étroitement lié à la culture cyberpunk, et tout droit sorti de l’imagination d’auteurs de science-fiction depuis les années cinquante, cet univers virtuel permet aux humains de recréer une société parallèle au monde réel dans laquelle ils peuvent évoluer à distance.

L’ambivalence à l’égard du métavers dans la culture cinématographique et littéraire reflète ainsi les dilemmes éthiques auxquels nous sommes confrontés en tant que société numérique en constante évolution.

Le métavers dans la culture cinématographique et littéraire

Dès 1957, Isaac Asimov publie Face aux feux du soleil, en imaginant déjà une communication entre les humains par hologramme, introduisant ainsi l’idée d’une technologie de réalité virtuelle.

Simulacron 3 de Daniel F. Galouye, paru aux États-Unis en 1964, aborde le thème de la société de consommation régulée par une machine faisant office de simulateur total d’environnement, soulevant des craintes de chômage massif, de désordres sociaux et de chaos économique. Il a été plusieurs fois adapté pour le cinéma par Rainer Werner Fassbinder en 1973 dans Le Monde sur le fil, et surtout repris par Neal Stephenson en 1992, qui en profita pour créer le mot Métavers dans Le samouraï virtuel.

William Gibson, l’auteur du roman cyberpunk Neuromancien (1984), et inventeur du terme « Cyberespace », imagine un monde hyper technologique, à la frontière entre le réel et le virtuel, contrôlé par les multinationales, abordant entre autre le transhumanisme et l’aliénation de l’homme par la machine.

homme machine cyberpunk
Source image : « Cyberpunk by M81 » par Freemodding.it est sous licence CC BY-NC-SA 2.0.

Il y est également fait allusion au terme de matrice, qui sera repris dans la série de films Matrix, réalisée par les sœurs Watchowsky, à partir de 1999. Dans cette fiction d’anticipation, qui fait également, entre autres, référence à 1984 de Georges Orwell, le métavers sert à garder l’humanité sous contrôle dans un monde virtuel, la matrice, conçu pour l’asservir afin d’assurer sa subsistance.

Une vision tout aussi pessimiste est abordée dans la série Black Mirror avec une récurrence du thème de la relation de l’homme à la technologie moderne.

Enfin, plus récent, le métavers « OASIS », au cœur du film Ready Player One de Steven Spielberg (2018, adapté du roman éponyme d’Ernest Cline, paru en 2011) permet à l’humanité de fuir la sombre réalité grâce aux casques à réalité virtuelle et autres dispositifs haptiques.

Le métavers comme nouvelle évolution du numérique par le jeu vidéo

Chronologie du métavers

2003, un tournant dans l’histoire numérique: L’éditeur américain Linden Lab créé « Second Life » quelques mois avant la naissance de Facebook, premier jeu en ligne massivement multijoueur et gratuit. Doté de sa propre monnaie, le dollar Linden, il permet aux joueurs de vivre également une vie sociale virtuelle via leur avatar, en se promenant, discutant, achetant, consommant.

Février 2020, la plateforme de réalité virtuelle interactive 3D décentralisée, « Decentraland », fait son apparition: 90 601 parcelles de terrain (environ 23 km2) à aménager selon ses envies, payables avec la crypto-monnaie MANA en échange de NFT (jetons non échangeables qui servent de titre de propriété et d’authenticité).
Il permet également d’importer des vêtements et des accessoires à utiliser dans les différents univers, ou encore des collections de NFT pour les exposer sans sa parcelle.

Oct. 2021, Mark Zuckerberg développe un métavers appelé « Horizon Worlds », aux graphismes proches des jeux vidéo Nintendo Wii, dans lequel les utilisateurs communiquent entre eux via leur avatar et participent à des activités diverses dans différents univers virtuels.

La pandémie comme accélérateur

Au début de la pandémie, le jeu multijoueurs en ligne Fortnite est devenu l’un des jeux vidéo à rencontrer le plus de succès, atteignant 350 millions de joueurs enregistrés. Cette popularité s’explique d’une part par le fait qu’on peut, en plus d’y jouer, y discuter avec les autres joueurs ou assister à des concerts de stars mondiales, ce qui en fait un espace de sociabilisation.

D’autre part, il permet aux utilisateurs, à l’instar des jeux Roblox et Minecraft, de générer du contenu eux-mêmes (Users Generated Contents, UGC), qui continue à vivre en leur absence en restant accessible à tous ceux qui souhaitent les modifier, encourageant ainsi la collaboration et la création.

Comment ça marche?

Sept critères sont à respecter pour définir le métavers, dont trois peuvent être optionnels selon les plateformes : la persistance, le temps réel, la présence, la communauté, la pervasivité, l’économie viable, l’interopérabilité.

les 7 critères du métaverse

Technologies

La réalité virtuelle

À l’origine présentées comme des logiciels de développement de jeux vidéo, les solutions Unity et Unreal Engine sont devenues des plateformes de développement en temps réel de la réalité virtuelle: associant des graphismes de haute qualité et une gamme complète d’outils artistiques pour créer des univers immersifs, ils sont interopérables avec de nombreux dispositifs comme le casque VR Oculus par exemple.

Les GAFAM sont également présents sur le marché avec les plateformes Amazon Sumerian, Google ARCore ou encore Apple ARKit, qui fournissent des solutions plus facilement accessibles sans grandes compétences en graphisme 3D ou en programmation VR.

Créer des univers virtuels est aussi possible avec des outils en libre accès comme Blender ou Godot, qui sont également gratuits, et offrent une large gamme de fonctionnalités.

Le processus de reconstruction 3D

Généralisé depuis la pandémie par les acteurs du monde immobilier pour assurer les visites virtuelles de leurs biens, il est utilisé dans le métavers pour créer des mondes virtuels aussi proches que possible de la réalité.
Son arrivée dans la gamification a marqué un tournant dans l’ergonomie et la spatialisation, renforçant ainsi le pouvoir immersif des jeux vidéo.

L’interface homme machine et de plus en plus les dispositifs haptiques

L’interactivité repose sur le principe du « What You See Is What You Get » : « ce que vous voyez est ce que vous obtenez », le dispositif devant permettre à l’utilisateur de ressentir ses actions par des réactions à l’écran (expressions du visage, mouvements, déplacements par exemple).

Difficiles à suivre tant ils sont rapides, les progrès en matière d’interface homme-machine ne se concentrent plus seulement sur la vue et l’ouïe, mais tendent à flouter encore plus la frontière entre le réel et le virtuel par le développement de dispositifs haptiques.

Des réseaux et du cloud, qui sont la « couche de base » de ce métavers

Très prisé par les entreprises car il permet de réduire les coûts relatifs à la sécurité, au stockage et au traitement des données , le caractère décentralisé de l’edge computing permet de réduire leur temps de traitement. Associé à la rapidité de la bande passante de la 5G, il constitue un facteur indispensable à la synchronicité exigée par le métavers.

La technologie de l’internet des objets (IoT)

Développée elle aussi pour brouiller la frontière entre la réalité et le virtuel en connectant les deux mondes, cette technologie permet de reproduire graphiquement et en 3D les objets physiques, créant ainsi ce que l’on appelle un jumeau numérique qui va fonctionner de manière similaire à l’objet réel.

Nouveau concept du numérique, issu du monde de la cryptographie : le Web3, ou l’internet décentralisé.

Le Web3, inventé par Gavin Wood en 2014, l’un des premiers développeurs de la blockchain Ethereum fondateur de la nouvelle blockchain Polkadot, est un concept novateur du monde numérique qui se réfère à un écosystème en ligne décentralisé basé sur la technologie blockchain et les NFT.

Il est considéré comme un nouvel horizon pour le web, en offrant plus de démocratie grâce à des services décentralisés plus transparents, où les utilisateurs ont un vrai pouvoir de propriété et de vote avec leurs NFT.

Le rôle fondamental de la blockchain

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission décentralisée et sécurisée apparue en 2008 avec le Bitcoin.
Elle est souvent comparée à un grand livre public intégrant l’ensemble des échanges effectués par ses utilisateurs. Les données ne sont pas hébergées par un serveur unique mais par une partie des utilisateurs, les pairs ou nœuds.

« Une transaction inscrite dans la blockchain est incorruptible car ses données sont enregistrées dans un bloc numérique qui est accroché à une chaîne d’autres blocs, rendant impossible toute modification sans déconstruire toute la chaîne« . Plisson, C. (2017). La blockchain, un bouleversement économique, juridique voire sociétal. I2D – Information, données & documents, 54, 20-22. https://doi.org/10.3917/i2d.173.0020

L’intérêt pour le métavers est qu’elle combine des fonctionnalités lui permettant de prendre en compte les problématiques sociétales pour les adapter dans le monde virtuel, avec des NFT comme titres de propriété, des crypto monnaies pour assurer l’économie, et des contrats intelligents et DAO pour sa gestion.

A part jouer, que propose le métavers Decentraland à l’utilisateur?

« Une extension de la vie réelle « 

Selon le chercheur Philippe Fuchs, « la finalité des métavers est de permettre à un nombre illimité d’internautes de partager simultanément, via leur avatar identifiable, des expériences de réalité virtuelle, dans le but d’activités sociales, ludiques, économiques, professionnelles, artistiques ou culturelles. Le champ d’applications des métavers est donc très large”.

Explorer le monde virtuel comme reproduction de la société contemporaine

Le plus emblématique est Décentraland, composé de 90601 parcelles de terrains virtuels, regroupés en une quarantaine de districts, dans lesquels flâner, visiter, consommer, comme dans le monde réel.

Chaque district dispose d’une thématique et d’une atmosphère qui lui sont propres et leur nombre permet de répondre à une large palette de centres d’intérêts, certains étant plus populaires que d’autres. C’est le cas par exemple pour la Fashion Street, le quartier de la mode, dans lequel une Fashion Week a été organisée en mars 2022 et la présence de grandes marques comme Dolce Gabana ou Elis Saab.

Museum District Decentraland, un musée présent dans le Métaverse.
Source image : Yukinobu Kurata – 2020-03-20_4-56-46

Socialiser avec les autres grâce à une multitude d’événements et d’activités

A la différence des jeux vidéo, où la socialisation découle des interactions nécessaires à l’aboutissement d’une quête en équipe, les plateformes type Second Life ou Decentraland, plus vouées à l’exploration individuelle d’univers virtuels au gré de ses envies, donnent lieu à des socialisations de type volontaires, reposant sur le désir des utilisateurs.

Dans Second Life par exemple, la géolocalisation des avatars permet d’indiquer qu’il se passe quelque chose d’intéressant et de choisir de s’y rendre, soit pour assister à l’événement, soit pour y faire des rencontres.

Dans Décentraland une multitude d’événements, mais aussi d’activités propices aux interactions sont proposés quotidiennement dans toutes sortes de domaines : concerts de stars internationales, défilés, conventions, expositions, concours, casino, activités commerciales, artistiques, immobilières, etc…

Les collaborations de tous types se multiplient et de nombreuses industries profitent de cette plateforme pour assurer leur visibilité et leur communication.

Créer

Testez les limites de votre imagination : Créez des scènes, des œuvres d’art, des défis et bien d’autres choses encore à l’aide de l’outil de création simple, puis participez à des événements pour gagner des prix”. Voici la phrase d’accroche de la plateforme Decentraland.

Pour répondre à cette promesse, la plateforme met gratuitement à disposition des utilisateurs deux logiciels ( Le Builder pour les scènes, et SDK pour la modélisation 3D) et des bibliothèques, accompagnés de tutoriels très documentés afin de rendre l’expérience plus accessible même aux non-développeurs. A noter tout de même que SDK requiert un minimum de compétences en programmation.

Ainsi sont composés toutes sortes d’univers et d’objets allant de villes, à des œuvres d’art, ou encore des articles de mode. Jamestown, le propriétaire de l’immeuble de Times Square à New York, a même fait recréer, par Digital Currency Group (DCG), une réplique virtuelle de Central Park à l’occasion du lâcher de ballons du nouvel an.

Commercer, et par la même occasion, consommer

Dans Decentraland, les parcelles sont monétisées avec sa propre crypto monnaie, le MANA, générant un marché de l’immobilier virtuel très lucratif pour des investisseurs privés ou particuliers, et ce grâce au titre d’authenticité et de propriété conféré par le NFT.

Le 23 novembre 2021, la société d’investissement Token’s a ainsi annoncé avoir déboursé pas moins de 2,4 millions de dollars (2,1 millions d’euros) pour s’offrir des parcelles de terrains virtuels dans Decentraland.

Elles sont ensuite utilisées pour le commerce en ligne et pour assurer la visibilité des acteurs de plus en plus constitués de grandes marques comme Nike, Samsung, Atari, Dolce & Gabbana, Adidas, ou encore Sotheby’s par exemple, qui y vendent des articles aussi bien virtuels que réels.

Ainsi, il est possible d’acheter des terrains, des œuvres d’art sur une place de marché, ou encore des vêtements et accessoires de mode pour personnaliser son avatar en fonction de l’image que l’on souhaite qu’il renvoie de nous.

Market place Decentraland, magasin en ligne pour acheter des objets utilisables dans le Métaverse.
Source image : « Decentraland-market » par At team est sous licence CC BY-SA 4.0.

Conclusion : les limites du modèle

Révolution culturelle, sociale et démocratique, le métavers prétend redonner le contrôle à l’utilisateur et viser la sociabilisation, à l’instar de l’internet à ses débuts.

Mais avec l’arrivée des grands groupes capitalistes sur le marché et de l’introduction de l’Intelligence artificielle, il y a fort à craindre que se posent un jour les mêmes problèmes d’éthique.

En juin 2021 une circulaire de la Maison Blanche intitulée A Declaration for the Future of the Internet a soulevé cette inquiétude et amène à rester en alerte quant aux potentielles dérives.

Notamment, un récent rapport d’expertise collective de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) alerte déjà sur les risques d’addiction et de désocialisation liés à l’exposition prolongée aux technologies immersives8.

En définitive, le métavers, tout comme le reste des dispositifs numériques dans lesquels la société actuelle est immergée, doit être consommé en toute conscience de ses dangers potentiels, afin d’en extraire uniquement le meilleur.

Mais sommes nous suffisamment sensibilisés aux potentiels risques et dérives de ces pratiques, mais aussi des technologies elles-mêmes?

Glossaire

NTF
Un NFT, ou non fungible token, est un jeton unique certifiant à son détenteur la propriété d’un bien numérique (objet de collection, item d’un jeu vidéo, œuvre d’art numérique, etc.) ou physique (œuvre d’art, immobilier et bien d’autres). Ils sont dit non fongibles car ils sont uniques, indivisibles et identifiables.

CRYPTOMONNAIE
La cryptomonnaie est un outil numérique de transfert de valeur de pair à pair (P2P), sécurisé par la cryptographie. Son registre de transactions est consigné dans une blockchain, et mis à jour par les détenteurs d’une monnaie Elles utilisent un système décentralisé pour enregistrer les transactions et émettre de nouvelles unités.

DAO
Un DAO (Decentralized Autonomous Organization), est une entité sans direction centrale qui fonctionne sur une blockchain. Les décisions sont prises par une communauté grâce à un système de vote électronique et un ensemble de règles définies. Il fonctionne à l’aide de contrats intelligents, qui sont essentiellement des morceaux de code qui s’exécutent automatiquement lorsqu’un ensemble de critères sont remplis.

EDGE COMPUTING
L’Edge Computing consiste à effectuer le traitement des données au plus près de leur source, plutôt que de les envoyer dans un centre de données centralisé ou dans un cloud. En plus de réduire les temps de réponse par un traitement de données plus rapide, il renforce leur confidentialité et leur sécurité en les gardant sur les serveurs locaux.

WEB 1.0 = WEB statique
Le Web 1.0 est la première phase du web, inventé par Sir Tim Berners-Lee en 1990 . Il est surnommé le « web passif » car il ne propose aucune interactivité et les pages sont statiques . Le contenu est à sens unique et l’utilisateur n’en est qu’un simple lecteur . Le but de son créateur était de connecter les informations et de les rendre accessibles à tous .

WEB 2.0 = WEB social
Le Web 2.0 est caractérisé par plus de simplicité et d’interactivité. Cela concerne en particulier les interfaces et les échanges permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s’approprier des fonctionnalités du Web . Ils peuvent contribuer à l’échange d’informations et interagir de façon simple, à la fois au niveau du contenu et de la structure des pages, et entre eux.

WEB 3.0 = WEB sémantique
Le Web sémantique vise à structurer et enrichir les données et les contenus des pages Web avec des métadonnées interprétables par les machines. Le but est de faciliter et d’optimiser l’échange, l’intégration et la réutilisation des informations sur le Web. Il offre un accès plus facile aux informations pertinentes, ainsi qu’une meilleure compréhension des données

WEB 3 = WEB décentralisé
Le Web3 est un internet décentralisé exploitant la technologie des blockchain, assurant plus de confidentialité et un meilleur contrôle de ses données personnelles par l’internaute.

Bibliographie