Face à l’urgence climatique, les solutions contradictoires, partielles et partiales ne manquent pas.
De ce fait, il est difficile de se repérer dans ce magma de solutions, d’autant plus que certaines ne
sont portées que dans le cadre d’objectifs de communication (ce qu’on appelle le greenwashing).
Dans le cadre de la pollution liée au numérique, l’écoconception d’un service numérique est portée
notamment par l’association GreenIT comme une solution incontournable. Est-ce le cas ou bien
est-ce une autre mesure publicitaire ?
Comprendre l’écoconception d’un service numérique
A quoi ça sert ?
Pour comprendre l’écoconception d’un service numérique, il faut rappeler rapidement ce qui se
passe en matière environnementale lorsque l’on enclenche une action numérique, par
exemple lorsqu’on lance une requête sur un smartphone. La figure suivante permet de mieux le visualiser.
Cet exemple est issu du Livre blanc : « L’écoconception des services numériques ».[1]
L’écoconception d’un service numérique propose d’agir sur l’ensemble du système.
Sa principale caractéristique : agir sur l’ensemble du cycle de vie
L’écoconception d’un produit quel qu’il soit doit intervenir sur toutes les étapes du cycle de vie, pas seulement sur quelques unes d’entre elles.
Le cycle de vie d’un service numérique comporte plusieurs étapes. [2] Celles-ci sont :
• Extraction de matières premières : Pour limiter l’impact environnemental de cette étape, une démarche d’écoconception web veille à optimiser la gestion du matériel informatique,
• Fabrication : conception du site : Il existe un référentiel de 115 bonnes pratiques[3] permettant d’optimiser cette étape en termes environnementaux.
• Transport : correspond au stockage dans un data-center. Dans une démarche d’écoconception web, il s’agit de choisir comme lieu de stockage un data-center vert.
• Utilisation : correspond à la navigation sur le site. Il convient particulièrement de minimiser les aller-retour entre les pages
• Fin de vie : supprimer convenablement les données et le site afin de libérer de l’espace de stockage.
Une démarche éloignée du greenwashing
Une démarche contraignante
Malgré ce que laisse penser le titre du livre de Frédéric Bordage[4], mettre en place un système d’écoconception web ne se limite pas à appliquer quelques bonnes pratiques. La démarche doit être pensée sous ses différentes contraintes[5]. Des audits peuvent d’ailleurs être nécessaires, avant le lancement du projet, en cours et à la fin. En premier lieu il faut observer les contraintes internes à l’entreprise : ressources financières, choix d’une équipe en terme de personnel, stratégie d’entreprise. En second lieu, il faut mener une réflexion autour du service numérique en lui-même : quelles devront être ses fonctionnalités, les usages attendus ? Ensuite, il faut évaluer le cycle de vie du service, quantifier son empreinte environnementale sur l’ensemble de ce cycle (voir les figures précédentes). Enfin, il faut évaluer des solutions, étudier leur faisabilité, à partir d’un référentiel de bonnes pratiques[6] et des objectifs de l’entreprise. Une fois le processus lancé, il est nécessaire de quantifier les résultats.
Une démarche globale
En matière de lutte contre la pollution, quelle qu’elle soit, il faut toujours réfléchir de manière globale pour éviter deux écueils : les transferts de pollution et l’effet-rebond. Par exemple, réduire la consommation de gaz à effet de serre d’un côté mais devoir augmenter les consommations d’eau d’un autre côté est un transfert de pollution. L’effet-rebond, quant à lui, se produit lorsque des économies d’énergie dues à une technologie moins énergivore sont annulées à cause d’un changement dans les comportements induit par cette technologie[7]. Par exemple, dans le domaine du numérique, utiliser davantage son téléphone portable parce que la batterie dure plus longtemps.
L’écoconception web veut dépasser ces deux problèmes, en réfléchissant de manière globale. Globale parce que, nous l’avons vu, elle tient compte de l’ensemble du cycle de vie du service numérique, mais pas seulement. En effet, faire le l’écoconception web c’est aussi prendre en considération l’ensemble de « l’architecture trois-tiers »[8], c’est-à-dire, les clients (terminaux des utilisateurs), les réseaux, les serveurs. C’est mesurer l’impact sur tous les types de pollution (épuisement des ressources, pollution atmosphérique, pollution de l’eau…). Enfin, elle doit être accompagnée d’une concertation avec toutes les parties prenantes. Nous nommons parties prenantes tous les acteurs gravitant autour de la politique de conception du produit. Ces acteurs peuvent être en amont de la conception (fournisseurs, sous-traitants…), en aval (clients, utilisateurs…), ou autour de l’entreprise (services de l’État, fédérations professionnelles…).
Des bénéfices globaux
Ainsi, l’écoconception web est une démarche à la fois globale et contraignante.
Les bénéfices que l’on peut en attendre sont divers et dépassent le cadre environnemental. Ainsi s’y ajoute d’abord un meilleur service à l’utilisateur : la démarche d’écoconception web doit toujours partir de cette question : comment la mettre en œuvre afin que l’usager en tire un bénéfice (par exemple, en réduisant la durée de réponse à une requête). Elle peut aussi entraîner une baisse des coûts d’investissement et de fonctionnement : par exemple, optimiser un logiciel peut éviter l’utilisation abusive de data-centers. Enfin, elle peut permettre un développement de l’innovation, notamment en terme de développement durable. L’écoconception web est donc aussi un facteur de réduction des coûts, de créativité et d’innovation.
Ainsi, l’aspect contraignant de l’écoconception web, la globalité de sa réflexion, et ses bénéfices qui dépassent le simple cadre environnemental font d’elle une démarche éloignée d’un simple argument publicitaire caractéristique du greenwashing.
Il peut être intéressant d’étudier quelques retours d’expérience.
Retours d’expérience
Kango (vente de meubles en ligne), Solocal (gestion de sites web dont Pages Jaunes et Mappy), Ovea (services d’hébergements web) et Telehouse (service de Cloud computing) sont quatre groupes qui ont mis en place des projets d’écoconception pour leurs sites internet.
Ces quatre groupes ont été invités à expliciter leur projet d’écoconception dans le « Livre blanc : l’Ecoconception des services numériques[9] », ce qui nous permet de comprendre leur démarche, mais aussi d’avoir une première idée de la manière dont ils communiquent sur le sujet.
Les groupes et leur projet d’écoconception
Ce qu’il faut retenir de leur méthodologie de l’écoconception tient en quatre points. D’abord, Kango et Solocal mettent en valeur la mise en place d’audits réguliers pour lancer le projet, évaluer son avancée au fur et à mesure, et faire un bilan final. Ensuite, Ovea, Solocal et Telehouse décrivent la manière dont ils ont analysé l’ensemble du cycle de vie. Kango et solocal déclarent avoir utilisé les bonnes pratiques du référentiel. Enfin, Solocal et Telehouse disent avoir réfléchi en terme d’acte-utilisateur et au parcours-type d’un internaute sur leur site.
Chaque groupe décrit ses résultats. Pour Kango, les résultats sont difficiles à mesurer car le nouveau site a fait changer les unités fonctionnelles. Cependant, le gain environnemental est estimé de 30 à 50 %. Ovea note une forte baisse de l’empreinte gaz à effet de serre. Solocal a utilisé l’ecoindex[10] pour mesurer ses résultats. Les résultats en terme d’impact environnemental se situent surtout sur la consommation d’eau et d’émissions de gaz à effet de serre. Telehouse déclare pour une même unité fonctionnelle une baisse de 60 % de l’ensemble des indicateurs environnementaux et de 50 % des consommations d’énergies.
Kango et Solocal ont intégré leur démarche d’écoconception web dans un projet RSE. Enfin, celle de Telehouse a été certifiée AFNOR.
Nous pouvons conclure que les démarches de ces quatre entreprises ont suivi les exigences de l’écoconception web, et que les résultats en terme d’impact environnemental ont été significatifs.
Pour compléter cette étude, et continuer à répondre à la question initiale « écoconception et greenwashing? », il nous semble pertinent d’élargir l’étude des stratégies de communication des groupes étudiés.
Leurs stratégies de communication
Ovéa et Telehouse ont une stratégie de communication très poussée sur leurs démarches environnementales. Telehouse[11] en particulier propose des vidéos sur son site internet les expliquant et insiste sur les certifications reçues. Une page entière du site d’Ovea[12] est consacrée à leur démarche d’écoconception web. Ces deux groupes communiquent aussi sur le sujet sur leur compte twitter.
Kango et Solocal sont beaucoup moins agressifs dans leur communication sur l’écoconception web. Kango propose quand même sur la page d’accueil de son site[13] un lien hypertexte nommé « 1er site éco-conçu de Bourgogne ». Le lien mène vers un paragraphe définissant l’écoconception web. Solocal se contente d’une simple mention « préserver l’environnement dans la gestion de notre activité[14] » sur son site. A noter que ce groupe a aussi un article sur le site e-rse.net où est présenté leur engagement environnemental[15].
Pour conclure
Pour résumer cet article, il faut noter d’abord que l’écoconception web est une démarche globale et contraignante loin d’un simple vernis publicitaire. Elle demande aux entreprises qui s’y sont engagées de remettre en cause l’ensemble du processus de leurs réalisations web, et de faire adhérer avec elles l’ensemble des parties prenantes.
Les groupes ayant intégré cette démarche peuvent avoir des politiques de communication sur ce sujet diverses, mais il est nécessaire qu’elles puissent faire une réelle évaluation des bénéfices écologiques.
Par conséquent, le terme « greenwashing » ne semble pas correspondre à une définition de l’écoconception web.
NOTES
1 Livre blanc, l’éco-conception des services numériques [en ligne]. Alliance green IT, février 2017. 37 p. Disponible sur : http://alliancegreenit.org/wp-content/uploads/Doc%20AGIT/LB-ecoconception-numerique.pdf (consulté le 02 avril 2019)
2 GOBBE, J.-A. (s. d.). L’éco-conception web : l’avenir des sites internet ? Consulté à l’adresse https://www.webmarketing-com.com/2018/04/12/79971-leco-conception-web-lavenir-des-sites-internet
3 BORDAGE Frédéric. Eco-conception web : les 115 bonnes pratiques. Eyrolles, 2015
4 BORDAGE Frédéric. Op. cit.
5 Livre blanc, l’éco-conception des services numériques. Op. cit.
6 BORDAGE Frédéric. Op. cit.
7 GARRIC, A. (s. d.). L’effet rebond pénalise les économies d’énergie et le climat. Consulté 8 juin 2019, à l’adresse Eco(lo) website: http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/02/24/lefficacite-energetique-peut-nuire-a-la-lutte-pour-le-climat/
8 Livre blanc, l’éco-conception des services numériques. Op. cit.
9 Livre blanc, l’éco-conception des services numériques. Op. cit.
10 www.ecoindex.fr
11 https://www.telehouse.fr/documentation/videos/notre-engagement-environnemental-3
12 https://www.ovea.com/publications/choisir-ovea-et-sinscrire-dans-un-developpement-durable/
13 https://kango-pro.com/fr/
14 https://www.solocal.com/decouvrir-solocal
15https://e-rse.net/numerique-responsable-enjeu-engagement-environnemental-groupe-solocal-25957/#gs.423pjw