Lorsque nous pensons au numérique, il n’est pas forcément évidemment de faire le lien avec la surveillance de la biodiversité, mais une telle union existe ! Vous allez découvrir à la lecture de cet article, des projets de sciences participatives se servant du numérique comme outil de surveillance, d’analyse, de recensement de la faune et de la flore. En mesurant l’aspect positif et négatif de telles initiatives, nous pourrons voir que la réflexion sur l’utilisation du numérique dépasse la dimension scientifique première, pour se tourner vers d’autres questionnement : l’implication civique, l’éthique, l’écologie.
Biodiversité et numérique
Les projets d’observation de la biodiversité ce sont développés ces dernières années du fait du réchauffement climatique et du besoin de préservation des espèces.
Un des objectifs de la recherche sur la biodiversité est notamment d’identifier, d’expliquer et de prédire pourquoi la répartition et l’abondance d’une espèce varient selon le temps, l’espace et les caractéristiques de l’environnement. La mesure de ces modèles et la prédiction de leurs réponses au changement ne sont pas anecdotiques. Aujourd’hui, ce sont des tâches essentielles pour comprendre les impacts que les humains ont sur les systèmes naturels de la terre, et pour l’élaboration de politiques environnementales fondées sur la science.
Il est nécessaire d’étudier les systèmes naturels à des échelles appropriées. Les études sur les processus écologiques sont altérées faute d’une attention suffisante portée au choix des échelles pertinentes. La façon dont les distributions spatiales et temporelles des espèces dans la nature est un facteur primordial dans la réalisation de ces modèles de prédiction.
Faute de pouvoir être toujours sur le terrain, les scientifiques ont ouvert leurs outils d’observation pour permettre aux citoyens de participer et d’alimenter les données nécessaires à l’étude. En effet ces projets ont dû se repenser pour permettre d’obtenir un nombre de données suffisant. En utilisant les sciences participatives, les scientifiques ont ainsi pu récolter des données tout en introduisant un aspect d’éducation à l’environnement par la présentation ludique des interfaces d’observation.
Car ces observations ne sont pas faites uniquement sur papier, mais grâce à des interfaces web ou des applications mobiles, conçues pour être simples d’utilisation, afin de permettre à l’utilisateur de ne pas s’écarter de l’objectif principal : fournir des observations. Ces données ensuite transmises par cette interface web/mobile remontent jusqu’à un cloud big data permettant d’accueillir des milliers d’observations simultanées. Les sciences participatives concèdent aux chercheurs le pouvoir collecter des données facilement, dans l’intention de les traiter massivement ultérieurement.
Attardons-nous sur plusieurs de ces projets pour comprendre leur fonctionnement et leur intérêt.
Focus sur deux projets de sciences participatives de surveillance de la biodiversité
Suivi Photographique des Insectes POLLinisateurs (SPIPOLL)
Le projet de sciences participatives SPIPOLL est une initiative du Muséum d’Histoire Naturelle et de l’Office pour les Insectes et leur Environnement, soutenu par deux partenaires la Fondation Nature & Découvertes, et la Fondation Nicolas Hulot pour l’Homme et la Nature.
Ce projet a pour but d’obtenir des données qualitatives sur les insectes pollinisateurs et/ou floricoles en France. Les observations collectées mesurent les variations de leur diversité et celles de la structure des réseaux de pollinisation sur l’ensemble du territoire.
Le protocole de collecte repose sur des photographies d’insectes en train de butiner. Il est nécessaire pour les chercheurs d’obtenir un grand nombre de données, dans des environnements variés, les missions peuvent donc être réalisées partout sans contrainte géographique. Le contributeur doit, sur une espèce de fleur définie, en au moins 20 minutes, photographier un maximum d’insectes appartenant à des espèces différentes. L’objectif est d’obtenir une photo par espèce, de qualité suffisante pour différencier une espèce des autres espèces photographiées. L’ensemble de ces photos constitue une collection. Le participant dépose ensuite ses photos sur un album virtuel en ligne. Dans un second temps, il identifie aussi précisément que possible chaque espèce à l’aide d’une clé d’identification en ligne. L’ensemble des données est utilisé par les spécialistes pour une analyse spatiale des réseaux de pollinisateurs en France, tout ceci via le site web de Spipoll.
Le programme, outre l’objectif de collecte, a aussi pour ambition d’être pédagogique. Il doit permettre au participant d’appréhender la diversité du vivant à travers celle des insectes pollinisateurs.
Le concept repose donc sur une collaboration entre les observateurs et les scientifiques, l’observateur au travers d’un programme ludique et didactique transmet des informations essentielles aux recherches des scientifiques, ces derniers pouvant ainsi exploiter les collections pour nourrir leurs recherches.
Spipoll fait partie de Vigie Nature. Ce dispositif national est déployé au niveau régional pour le suivi de l’état de santé de la nature à travers des groupes indicateurs de biodiversité (oiseaux, chauve-souris, papillons, plantes, amphibiens) qui s’appuient sur des réseaux naturalistes volontaires. Vigie Nature s’engage à proposer des protocoles simples et rigoureux adaptés à un grand nombre d’observateurs. La coordination nationale est assurée par une équipe scientifique spécialisée sur l’étude des changements globaux de la diversité et la conception d’indicateurs
Observatoire de la biodiversité des fôrets
L’observatoire de la biodiversité des forêts (OBF) est un programme national de sciences participatives ouvert à tous. Ce projet a été développé à l’initiative de l’association Noé, soutenu par le Museum d’Histoire Naturelle, par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ainsi que par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Soutenu par de nombreux partenaires, le service du Patrimoine Naturel, ainsi que des associations comme les Scouts et Guides de France, et Reforest’ Action.
Il a pour but d’alimenter une base de données nationale lancée par l’état en 2005, en récoltant et en recensant les informations connues liées à la biodiversité dans les forêts. Le recoupement d’information en provenance de nombreuses organisations, dont L’observatoire des forêts, permet de suivre et de constater la présence, la répartition, l’apparition ou la disparition d’espèce.
L’OBF propose des protocoles simples pour apprendre à reconnaître les espèces de la forêt. Le programme nécessite de prendre des photos mais ne demande aucune compétence préalable. 42 missions sont présentées, chacune correspondant à une espèce et à des zones géographiques. Ces missions sont proposées en fonction du département d’occupation du contributeur. Pour participer, il est possible de passer par une interface web. A disposition des contributeurs, les fiches missions permettent aux utilisateurs de prendre connaissance des outils d’observations : un livret sur l’espèce à observer, une fiche à renseigner en fonction des observations faites.
Une application a été développée, « Mission Forêt avec Noé ». Cette application regroupe les missions par niveau (apprenti, débutant, confirmé et expert) et les fiches ressources. Les données recueillies n’ont plus besoin d’être transférées sur ordinateur et déposées sur l’interface web, elles sont envoyées directement à la base de données.
L’utilisation du numérique au service de la biodiversité : impact et éthique
Par le biais de tels projets nous pouvons voir que le numérique est un véritable plus, il permet d’acquérir facilement et massivement des données grâce à la contribution de tous. Le numérique aide les citoyens à monter en compétences, il donne une place au coeur des projets engagés notamment via les sciences participatives, il permet d’innover et d’apporter beaucoup aux stratégies des territoires et au développement de l’écocitoyenneté. L’implication dans ce genre de projet reflète vraiment d’un engagement citoyen, d’une prise de conscience de la nécessité d’agir pour améliorer le monde, mais aussi son propre quotidien. En s’engageant dans tes projets contributifs, les citoyens se placent non pas comme consommateur, mais également comme producteur. Ce principe s’applique à tous les champs des sciences participatives.
Les inventaires biologiques ont toujours joué un rôle central dans la compréhension et la protection de la nature. Le fait de dématérialiser la démarche aide au partage des connaissances naturalistes. A l’objectif scientifique d’acquisition de connaissance des milieux, s’ajoutent des objectifs pédagogiques et de sensibilisation.
Nous savons que la nature n’a pas besoin de technologies pour exister. Le numérique a par ailleurs beaucoup altéré l’écosystème avec son empreinte écologique colossale. Il existe ici un paradoxe notable. En effet rappelons que l’industrie du numérique utilise environ 7% de la consommation mondiale d’électricité [1], soit près de 4% des émissions de gaz à effet de serre [2]. Le réseau internet, et le matériel informatique sont des sources de pollution très importantes. La production d’appareils électroniques est tout autant énergivore, en électricité comme en eau. Les espaces de stockages des données consomment beaucoup d’énergies et généralement des énergies fossiles. Des informations criantes qui interrogent quant à la pertinence de l’utilisation du numérique dans la cause écologique, car n’est-il pas hypocrite de faire de la surveillance de la biodiversité avec des outils et des moyens aussi controversés ?
Un pas vers des pratiques plus vertueuses
A d’autres échelles, des efforts ont déjà été faits pour faire un numérique plus vertueux, dans le cas des projets que nous avons évoqués ne serait-il pas important de faire un pas plus grand vers un numérique vert ? Et attention au greenwashing ! Il ne suffit pas de faire une interface verte, pleine d’images d’illustrations évoquant la nature pour changer les choses. Ces projets doivent s’engager à utiliser de manière raisonnée le numérique. D’intégrer, par exemple, dans le développement de leurs projets des notions d’écoconception, il est important que les data centers ne soient pas alimentés avec des énergies non-renouvelables, mais également de penser à appliquer les principes de préservation des outils. Il est nécessaire de penser par exemple à la consommation énergétique que coûte l’utilisation des applications mobiles développées, en faisant des applications moins énergivores, on préserverait ainsi les batteries des téléphones. Il faut donc que ces projets pensent à simplifier les opérations demandées aux observateurs, car l’utilisation abusive de l’appareil photo ou d’une connexion mobile entraîne une surconsommation d’énergie. Donner la possibilité à l’utilisateur d’utiliser l’application hors connexion serait donc un premier pas vers une conception plus vertueuse, l’utilisateur ne soumettrait pas en temps réel ses données, mais attendrait d’en avoir regroupées beaucoup pour mutualiser le transfert.
Néanmoins les questions éthiques et écologiques qu’entrainent l’utilisation du numérique ne doivent pas minimiser l’impact positif que ce genre de projet peut avoir sur les mentalités des utilisateurs. Comme nous avons déjà pu le montrer, l’implication citoyenne dans ce genre de projet, permet tout d’abord aux professionnels d’avoir des données pour continuer et affiner leurs recherches, ce qui leur permettra de trouver des solutions ou de tirer des constats des situations rapportées. Mais ces projets permettent également de donner conscience à l’utilisateur du monde qui l’entoure et de sa fragilité. Qui plus est via l’utilisation de ces interfaces, la participation à ces projets, l’utilisateur intègre l’idée de devoir agir contre le changement climatique et de ce fait changer ses habitudes pour préserver l’écosystème qu’il a pu observer.
BIBLIOGRAPHIE
[1] GREEN PEACE. Impact environnemental, il est temps de renouveler internet. [en ligne] 2017 [Consulté le 15 avril 2019] Disponible à l’adresse: https://www.greenpeace.fr/il-est-temps-de-renouveler-internet/
[2] CAILLOCE, L. Numérique: le grand gâchis énergétique, CNRS Le journal. [en ligne] 2018 [Consulté le 9 avril 2019]Disponible à l’adresse: https://lejournal.cnrs.fr/articles/numerique-le-grand-gachis-energetique
HOULIER, F. Les sciences participatives en France, état des lieux, bonnes pratiques et recommandations, INRA. 2018.
LEGRAND, M. Vigie-Nature: sciences participatives et biodiversité à grande échelle, Cahiers des Amériques latines. p63-84. 2013.
JULLIARD, R. Ecologie et big data : biodiversité et crowdsourcing, 2017.
Consulté à l’adresse : http://www.cmap.polytechnique.fr/chaire-mmb/veolia2022017/julliard.pdf
DDRI, FING, WWF FRANCE, GREENIT.FR. Livre blanc Numérique et Environnement. [en ligne] 2018. [Consulté le 10 avril 2019]
Disponible à l’adresse : https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Rapport/livre%20blan c%20num%C3%A9rique%20%C3%A9cologie.pdf